Ère de dégoût

Article : Ère de dégoût
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17 novembre 2020

Ère de dégoût

Une adresse à la nation sénégalaise par les temps où le président Macky Sall et une bonne partie de l’opposition se réconcilient. Ils soldent ainsi leurs comptes par-dessus le dos du peuple.

Chers compatriotes

Sénégalais des villes et des campagnes ; fonctionnaires, ouvriers, paysans ;
hommes, femmes, jeunes et vieux. Le Sénégal est ce que nous avons de plus cher. Il est le patrimoine commun indivisible et inaliénable que nous devons à nos pères et dont nous avons la responsabilité historique de léguer meilleur aux générations futures.

Une communauté de destin

Mes concitoyens, les lumières dont nous avons hérité ont inondé le monde et porté haut le nom de notre pays, au-delà des continents. Oui, le Sénégal, petit territoire reclu dans l’ouest africain mais grand de par ses fils et filles. Mais illustre de par le génie et la vitalité de son peuple.

En répandant le sang de leurs sacrifices sur le chemin de notre marche glorieuse, nos ancêtres n’ont pas seulement déjoué les jougs qui nous tenaient prisonniers. Ils fondaient notre communauté de destin. Ils rendaient possible un Sénégal où nul citoyen n’est trop faible pour ne pas y mériter une place, ni trop fort pour en prendre plus.

La crise des valeurs républicaines

La citoyenneté qui fonde la République et ses valeurs fera table rase de nos naissances individuelles, de nos confessions et ethnies pour nous confondre dans un seule moule, celle des citoyens et citoyennes sénégalaises.

Cette même République hélas nous échappe. Elle nous renvoie au féodalisme, à l’âge des princes, des sujets, à l’ère des aristocrates, du bas-peuple.

L’aristocratie des palais, des honneurs, du luxe insultant et du laxisme révoltant.
Le bas-peuple des banlieues, des égouts, des champs et rivières. La populace dont vous me permettez de porter ici les cris et les hurlements sauvages. Vous les entendez sûrement, ces cris, vous ne pouvez feindre le contraire.

Drame des villes et des campagnes

Ils ont voté à la campagne, dans l’espoir des promesses d’un avenir meilleur. Contre des graines de céréales à manger et à semer à l’occasion.

Mais désespoir ! Plus de terres à cultiver. Les milliardaires de la capitale, les banquiers, agroindustriels, marabouts, courtiers d’affaires se sont partagés le gâteau.

Les jeunes paysans, fatigués d’en découdre avec les forces de l’ordre et de souffrir tirs de sommation et garde à vue, embarquent en mer. Ils prennent le chemin de l’immigration clandestine.
Ngor, l’un d’eux, arbore le dernier sourire de sa vie en coulant dans les eaux de la Méditerranée. Il avait aperçu Ceuta et Melila .

Du village, Yandé sa veuve, se rend à la capitale avec ses nombreuses progénitures. A la banlieue où elle est lavandière avec moult femmes du terroir, ses petits végètent dans le trou d’ombre d’une baraque branlante. Ni pain, ni eau, ni école, ni couverture sanitaire, ni extrait de naissance.

Leurres de lueurs

L’aube pointe me dites-vous ? Quelle aube ? Je vois les citadins en foules folles furieuses prendre d’assaut la ville. Du haut des terrasses, les ouvriers debout sur des monticules de graviers baillent aux corneilles. Leur course contre le jour est évidemment perdue. Dans les artères de la ville, les banlieusards en meutes se lancent à la poursuite d’un quotidien étriqué. D’un destin aux équations plurielles toutes aussi cruelles. Jusqu’à quand la pauvre Yandé s’emploiera-t-elle à débarrasser le linge de la bourgeoisie ? Jusqu’à quand ses petits cesseront-ils d’être domestiques, laveurs, mendiants, badauds en traine de leurs souffrances et désespoirs dans les poubelles de la cité ?

Quid de la classe politique ?

Et j’en viens à eux. Non pas aux seuls gouvernants préposés à la guidée de nos destinées. Les princes de la république dont les petits se gavent au moyen de cuillers en or à l’occasion des banquets arrosés à la sueur du peuple.

Non, je ne parle pas que des plénipotentiaires de la cité trop pris par leurs noces et villégiatures de palais pour se rappeler quoi que ce soit de leurs promesses de campagnes.
Ils n’ont pas que monnayé les ressources de nos sous-sols, nos terres et notre littoral ; ils ont hypothéqué notre liberté et notre futur. Non. Je parle de tous les hommes politiques confondus. Sans distinction aucune parce qu’au nom de leurs intérêts, ils savent toujours se retrouver et faire bloc contre le peuple. Ne vous étonnez pas que politiciens et compagnies se rassemblent, c’est qu’ils se ressemblent, c’est tout.

Leur adversité est trompeuse, leurs velléités ne sont que de façades. Le temps d’un plateau télévisé ; d’une campagne électorale. Le reste est partagé entre deal, compromis et reniements. Les dessous de tables qui révèlent au grand jour le dégoût des vomissures ingurgitées , de la morale piétinée, bafouée pour des intérêts de bas étages. La bouffe ; l’odeur enivrante du blé qui met à prix l’honneur des hommes, leur intégrité et leur respect de la parole donnée.

Ce qu’il faut retenir

Mes concitoyens,

Nous nous laisserons encore abuser, berner, leurrer tant que nous ne nous ferons pas à l’idée que pouvoir et opposition jouent tous contre un seul camp : celui du peuple. Le reste se règle sur le terrain de la rhétorique, de la parole, domaines de tous les impossibles possibles ; des dénis, des trahisons, de l’ignominie.

La voilà, l’amère vérité, la raison de notre dégoût profond.

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