Sandha, ville fantôme au passage du coronavirus

Article : Sandha, ville fantôme au passage du coronavirus
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11 août 2020

Sandha, ville fantôme au passage du coronavirus

La ville de Sandha vit le pire de son destin. L’entêtement de ses habitants à ne pas s’accommoder aux gestes barrière et mesures édictées contre la propagation de la Covid-19 en est la cause principale.

1ère partie

La Force C-19 en patrouille

Un camion blindé médicalisé arpente les rues de Sandha. Au même moment, un hélicoptère Appache Z-HK appareille au dessus à basse altitude. Autant que le lui permet l’enchevêtrement des immeubles de la ville, des poteaux électriques et autres installations en hauteur.

— Avenue Sultan Othman à votre gauche ; prenez la et gardez le cap. A vous.

— Bien reçu. Unité au sol sur Sultan Avenue, direction Nord partant du Jet d’Eau. A vous.


Il est treize heures. Voilà deux tours d’horloge que le détachement de la Force d’intervention C-19 patrouille à Sandha. En effet, nullepart un sujet humain ou animal n’est en vue. Les rues de la ville ne sont pas seulement désertes, leur silence inspire à Gormack Hot et à ses coéquipiers une peur viscérale.

Alerte, un mouvement détecté

A l’approche du marché central, la patrouille relève un mouvement bien perceptible au sol. Alors, Hot avale une grosse salive et bloque un moment la respiration. Le temps de laisser passer la boule acide qui lui irradie le bas-ventre et met littéralement le feu à ses tripes. Instamment, l’ordre de faire pied à terre est donné à l’équipe alors que l’hélico garde position en altitude.

De suite, les sept agents émergent du camion blindé. Leurs équipements de protection individuelle (EPI) les mettent à l’abri de tout risque de contamination microbiologique. A mesure qu’ils avancent vers la cible, les tubes pneumatiques reliant leurs casques à viscère à leurs bouteilles d’oxygène et leurs tabliers flottant sous leurs aisselles leur donnent l’air d’astronautes en pleine mission extraterrestre.

Une découverte bien étrange

Un coup de vent entraîne sur la chaussée un tas de paperasses et de feuilles d’arbres sèches. Dans la cabine du camion blindé, l’opérateur caméra règle la focale et filme en vue rapprochée :

— Alerte, un tas de paperasses entraîné en spirale dans un tourbillon de vent à l’angle de rue jouxtant le marché central.
Diggy le pilote de l’hélico réajuste son micro et reprend :

Force C-19 au rapport. La base est priée de noter : tas de paperasses, tourbillon, angle de rue marché central. A vous.


Hot donne l’ordre de faire halte ; ses hommes s’exécutent. Ce qu’ils voient sous leurs yeux est incroyable. Gormack Tamlig Djigane Hot se retient de hurler « Maman ! » alors que l’opérateur caméra s’écrie :« Haï yéh-ké-té ! « . Vraisemblablement une onomatopée ou n’importe quelle injure proférée en dialecte local.

La base sur le qui-vive

A la base de la Force C-19, le colonel Demba tente de s’extraire par deux fois de son siège en vain. D’un geste lent, il se saisit de ses verres correcteurs disposés sur le bureau et se remet à regarder la vidéo retransmise en temps réel sur l’écran de son ordinateur. Le juron qu’il lance sonne métallique dans les casques de Gormack Hot. Aussitôt, ce dernier l’assimile à un commandement et en demande des précisions.

— Restez en position et attendez-vous à de nouveaux ordres ; s’écrie Demba.

Le comité de crise convoqué séance tenante réunit les trois départements qui composent la Force C-19. Celui de la recherche scientifique, de la médecine et de la sécurité. L’air grave, le colonel Hamady Demba qui dirige la structure fait face aux neuf membres du commandement. Le sexagénaire qui a roulé sa bosse un peu partout dans les services de la médecine militaire est loin d’être à son baptême de feu. De toutes ces années de carrière, le cas Sandha passe pour l’équation la plus insoluble. Et pour le colonel et pour ses collègues de la base.

La ville de Sandha et le corona

Sandha, une ville d’un peu moins de dix mille âmes est située aux confins de la réserve forestière du Tadalghout. Approximativement à deux cents kilomètres au Nord de la capitale. Il y’a six mois à l’annonce du premier cas de Covid-19, la ville de Sandha s’est vite illustrée dans la campagne de désobéissance aux gestes barrière et restrictions de libertés liées à l’état d’urgence en vigueur.

Soupçonnant une communication gouvernementale déficitante en la matière, les experts de l’OMS et des ONG de la place se sont très vite joints à la campagne de sensibilisation du Ministère de la Santé. La stratégie est revue et corrigée, les moyens humains et logistiques renforcés. Dans le même élan, les réseaux sociaux, chefs religieux et mouvements de jeunesse sont mis à contribution pour un bien maigre résultat : Sandha ne compte pas changer.

A dire vrai, ce n’est pas que sandhais et sandhaises ne soient pas capables de changement ; c’est qu’ils n’en ont pas la moindre volonté. Au quotidien et sur tous les supports médiatiques, les coronanews tiennent le public informé de la menace de la Covid-19. Des spots qui mettent en relief les mesures préventives individuelles et collectives édictées pour contenir la progression de la pandémie

En l’état actuel des connaissances sur le coronavirus, les personnes âgées sont les plus exposées aux complications et risques mortels. Or, à plus ou moins long terme, nul ne peut présager de l’évolution du virus mutant. Notamment à l’éventualité d’une contamination à grande échelle et en l’absence de structures médicales outillées dans le traitement des malades.

Sandha, ville rebelle

C’est en cela que l’avance que les virus et autres agents pathogènes prennent sur la science est fatale. Un moment d’errements et d’incertitudes qui met en opposition frontale personnels de santé et chercheurs, fragilise les politiques dans leurs prises de décisions et profite aux négationnistes. Ceux-là qui nient ouvertement l’existence de la Covid-19 et crient au complot international. Le nouvel ordre mondial que certains lobbies se prépareraient à ériger sur les ruines de l’héritage culturel et cultuel de l’homo sapiens sapiens.

A dire vrai, cette conception des choses est la plus partagée à Sandha et environs. L’état d’urgence décrété à l’échelle des Territoires Sud n’a fait que raviver l’esprit rebelle des sandhais. En hordes de bataille, ils s’y prennent corps et âmes pour faire échec à la Force C-19, le bras armé de la lutte contre la pandémie.

Tous les soirs en réaction au couvre-feu de vingt heures à six heures, les rues de Sandha accueillent plus de noctambules que la ville n’en a connus de toute son histoire. Pour ces manifestants surexcités, les gestes barrière sont synonymes de barrages à ériger systématiquement aux carrefours et points stratégiques de la ville. Des barricades faites de tôles, de ferrailles et de matériels de récupération qui résistent autant que possible à l’assaut des forces de l’ordre et à leurs bombes lacrymogènes. Chaque matin, Sandha affiche le décor d’une ville en état de siège avec ses militaires en patrouilles, ses sirènes d’ambulance et ses rues en fumées.

La mode corona

Devant le portail de sa maison, Barouk Rokhba, un octogénaire de la banlieue s’est chaque fois fait plaisir à tenir ces propos aux passants :


 » Vous voulez que je vous dise mes petits ? Approchez donc et arrêtez de me fuir comme si j’avais le corona.


Arrière les barrières ;

Distanciation, aucune chance ;

Lavage des mains, foutaises ;

Bas les masques !

Le corona, on l’a connu nous aussi dans le passé. Rien de différent d’une grippe ordinaire ; une espèce de rougeole qui passe en moins de vingt-quatre heures si vous vous mettez vite sous les couvertures. Qu’on m’emprisonne si mes propos déplaisent au président et au Parti : un peuple qui traine en toutes saisons le rhume et la malaria ne sera jamais inquièté par le corona. »

La coronamania venait de voir le jour. Le concept que les sandhais doivent à la rhétorique du vieux Rokhba inspirera rapidement le langage de la rue. La mode vestimentaire et le showbiz s’ensuivent dans une vague de rébellion démesurée. Partout dans les nightclubs, les bars, les lieux publics, la coronamania fait fureur. Une nouvelle danse exécutée main dans la main, front contre front ; collés, serrés.

Woulndoul

Le colonel Demba racle la gorge et débite l’ordre du jour de la séance. Les neuf membres du commandement de la Force C-19 ne sont pas au bout des surprises que leur réserve la ville de Sandha. En question, un monstre à quatre pattes !

A suivre

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