Premier, mais…

Article : Premier, mais…
Crédit:
9 mai 2021

Premier, mais…

La fête du 1er Mai est l’occasion de revenir sur la problématique de l’emploi de la jeunesse au Sénégal. Le contexte macroéconomique rend complexe la question qui préoccupe au plus haut point les autorités gouvernementales.

Mandiouga

Toujours premier de sa classe. Même pas de redoublement ou de passage en repêchage. Les diplômes accrochés au mur du salon en témoignent du primaire au cursus universitaire. Mais toujours pas de boulot : l’emploi est par ici le casse-tête et des gouvernants et des gouvernés.

Le quotidien d’un désœuvré

Mandiouga occupe donc ses jours à jouer au scrabble et à applaudir le Champion’s League. Ces pelouses verdoyantes où les stars du ballon rond déroulent le spectacle tels des demi-dieux. Et ces supporters perchés aux gradins, Pepsi-Cola à la main ; la gueule dégageant des buées blanches-de-neige. Les pubs passent en boucle : Heineken, Castel Beer, Master Card, Yves Saint Laurent… Les carlingues de luxe donnent à Mandiouga la sensation de rêver éveillé.

En ce temps, la mère vient d’hypothéquer ses derniers bijoux pour payer les émoluments du marabout sérère du coin. S’ensuivent pour Mandiouga des séances de bains d’eau bénite salée, parfumée et trempée d’une bague argentée. Le port d’amulettes et de ceintures passées à la coordonnerie est encore plus pénible pour le jeune diplômé.

Enfin un boulot et des équations à plusieurs inconnus

Ça passe enfin ; l’emploi tant couru est obtenu. Un poste d’enseignant de brousse à Toguél-Togléguél. Mandiouga prend ses baluchons et engage le voyage muni d’une page de Google Earth.

Un premier bus de Dakar à Touglou puis, une ferraille fumant ses vapeurs d’huiles et de fuel de Touglou à Fouraas. S’ensuit une escale d’une journée au marché hebdomadaire de Pakhe. Au soir, Mandiouga rate de peu la seule camionnette au départ. La guimbarde hoquette et suffoque sous ses chargements d’autochtones. La vie de ces gens ne tient qu’aux bouts de cordes auxquels ils s’agrippent en invoquant les versets du Coran.

Fin de réseau routier comme de réseau téléphonique. Mandiouga échoue à la queue d’une charrette tirée par un pool de mules. Ces dernières se cabrent et se rebellent à la manœuvre dune dame peulh de retour de sa corvée d’eau. Une autre fin de réseau ; hydraulique celui-là.

Encore une dizaine de kilomètres à parcourir. Les broussailles sont parsemées de larges étendues de graminées et de céréales brûlés par L’harmattan. A l’arrivée, la charretière se débarrasse du client encombrant. Elle n’a pas cessé de le lorgner d’un air méfiant durant tout le trajet. Mandiouga doit continuer à pieds. En béquilles si ses jambes continuent à raidir telles des barres de ferrailles.

Le début de tous les problèmes

Enfin, Toguél-Togléguél. Le premier habitant croisé est un vétéran de guerre chauve et édenté qui demande à l’instituteur les nouvelles du Sénégal. L’école se réduit à un nid pitoyable de mômes frêles en quête d’avenir et de devenir. Les huttes qui leur servent d’abris sont truffées d’ombres et de pénombre. A neuf heures précises, la prise de service est interrompue. Ça débraie ; on avisera quand ça embraiera.

Étiquettes
Partagez

Commentaires