Le Sénégal en zone de turburlences : temporalité et prospective

Article : Le Sénégal en zone de turburlences : temporalité et prospective
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13 juin 2023

Le Sénégal en zone de turburlences : temporalité et prospective

Les manifestations suscitées par la condamnation de l’opposant politique Ousmane Sonko secouent le Sénégal. De par le monde, le pays de la Teranga est méconnaissable. D’où ce « Courrier » sans complaisance sur ce que nous sommes, d’où nous venons et où nous allons.

Pays de démocratie, terre d’hospitalité, havre de paix, le Sénégal bascule subitement dans la terreur. Les échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre font plusieurs morts. Les lieux de commerce, banques et stations services sont vandalisés. Les boutiques sont pillées. Les universités sont saccagées et les domiciles de plusieurs personnalités incendiés. Des infrastructures modernes réalisées à coups de centaines de milliards d’investissement sont hors service.

Ce tableau sinistre qui est le lot d’autres régions du monde émeut les sénégalais qui retiennent leur souffle. Les médias et les réseaux sociaux font écho de l’hostilité à mort des politiques et de leurs suppôts. Ils relaient au quotidien les propos haineux des uns et des autres appelant à l’insurrection et à la révolte. Le spectre des vieux démons qui, ailleurs ont mis à genoux bon nombre de nations, fait surface. Le pire est à craindre.

© Leo Correa, AP
Un manifestant lance une pierre sur des policiers anti-émeute lors d’une manifestation sur le campus de l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar, au Sénégal, le jeudi 1er juin 2023

SI NOUS AVONS DORMI SUR NOS LAURIERS

Peut-être bien que nous avons dormi sur nos lauriers. Lesquels remontent des pères qui s’efforcèrent à fonder un état nation fortement enraciné dans nos valeurs de paix et de complémentarité des différents groupes sociaux. Le dialogue interreligieux, le cousinage à plaisanterie, l’hospitalité reconnue au pays à l’échelle planétaire en sont une illustration vivante.

La traduction de cette volonté de vie commune dans le cadre d’un état respectueux des libertés et de la démocratie exigeait d’avantage. Elle devait se fonder sur notre capacité à donner à la citoyenneté tout son sens et sa plénitude dans son expression de tous les jours. La même citoyenneté qui confond le riche, le pauvre, le citadin, le rural, le chrétien, le musulman et le païen dans une seule moule au regard de la République.

Au tournant des alternances de 2000 et de l’an 2012, les promesses d’un état de droit qui garantisse la justice et les libertés individuelles et collectives ont avorté dans leur grande majorité. Les oppositions qui ont fait de ces valeurs démocratiques leur profession de foi et leurs slogans ne s’en serviront que le temps de se hisser au pouvoir. L’exécutif à l’hypertrophie décriée et dénigrée s’érige en hydre omnipotente qui confine les autres institutions dans de seconds rôles de figuration. L’assemblée nationale déconnectée des préoccupations du peuple se ramène à une chambre d’enregistrement alors que la justice est aux ordres. Tout au moins, elle est soupçonnée d’exercer en violation des principes fondamentaux d’équité et d’égalité de tous les citoyens devant la loi.

© Leo Correa, AP
Un manifestant lance une pierre sur des policiers anti-émeute dans un quartier de Dakar, au Sénégal, le jeudi 1er juin 2023, après que le chef de l’opposition du pays, Ousmane Sonko, a été reconnu coupable jeudi de corruption de jeunes mais acquitté des accusations de viol d’une femme qui travaillait à un salon de massage et proféré des menaces de mort à son encontre.

La résultante de cet état de fait est l’émergence d’une nouvelle classe de professionnels de la politique abonnés présents chaque fois qu’il est question de partage du gâteau du pouvoir. Au sommet, les villégiatures ostensibles et attentatoires à l’éthique et à la bonne gouvernance sont on ne peut plus révoltantes. Pour les jeunes qui jouent leur avenir à la roulette russe sur les chemins de l’émigration. Pour les femmes qui meurent en donnant la vie faute de structures sanitaires appropriées. Pour les écoliers sous abris provisoires ; les étudiants, les diplômés chômeurs ; pour les travailleurs laissés pour compte. Un mécontentement générationnel qui grandit et n’arrête pas de croître alors que le Sénégal engage un nouveau tournant de son histoire : l’exploitation des hydrocarbures.

DES MANNES DE FEU

L’or de Sabodala, les richesses de nos côtes, notre immense potentiel foncier sont loin d’avoir fait reculer la misère des villes et des campagnes. Le Sénégal figure encore sur la liste des Pays Pauvres Très Endettés de la Banque Mondiale ; les fameux PPTE. C’est à se demander si le pétrole en voie d’extraction fera gagner aux sénégalais des bonds significatifs dans leur quête de mieux-être. Nul doute que sans des institutions étatiques fortes qui veillent aux ressources publiques et punissent à l’occasion les crimes économiques avérés, les mannes en question seraient sans effet. Pas que seulement, elles continueront de nous rester au travers de la gorge en demeurant le terreau de nos mésententes criardes et de nos discordes cruelles.

Pour la plupart, les nations riches de leurs énergies fossiles ont connu  ce cynique envers du décor. Elles se sont vite retrouvées dans l’œil du cyclone de multinationales, cartels et lobbies qui font feu de tout bois pour se tailler le gros des trésors en question. Les tierces parties qui s’invitent à l’occasion tel le « troisième larron » sont d’autant plus à craindre qu’elles se confondent à toutes les menaces aux aguets. C’est à dire les forces de toute obédience qui ne peuvent opérer et prospérer que dans des situations d’instabilité, de non droit et de chaos.

© Leo Correa, AP
Un policier anti-émeute passe devant une voiture en feu lors d’une manifestation sur le campus de l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar, au Sénégal, le jeudi 1er juin 2023. Le chef de l’opposition sénégalaise Ousmane Sonko a été reconnu coupable jeudi de corruption de jeunes mais acquitté des charges de violant une femme qui travaillait dans un salon de massage et proférant des menaces de mort contre elle.

IL NOUS FAUT ÊTRE FORT

Les défis évoqués plus haut sont assurément aussi préoccupants les uns les autres. Ils ne donnent cependant aucunement lieu au pessimisme et à la résignation. Tout se jouera en effet sur la capacité du Sénégal à braver les épreuves pour en sortir grand, renouvelé et revigoré. Voilà la responsabilité à laquelle chaque sénégalaise et chaque sénégalais sont astreints devant l’histoire et devant les hommes.

Il n’y a pas d’alternative à cette vérité. Les défis à notre génie, à notre capacité de résilience et à nos possibilités infinies sont trop sérieux pour nous permettre le surplace. Pour ainsi dire, c’est à l’aune de notre engagement individuel et collectif à devenir meilleur et à mettre le Sénégal au dessus de tout que nous y arriverons. Ainsi qu’il sied aux grandes nations qui savent toutes les fois trouver dans leur prodigieuse marche les ressources à même de les projeter le plus loin dans le temps au-delà de toutes les contingences et turbulences.

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