Fête de Tabaski : du rituel au factuel

Article : Fête de Tabaski : du rituel au factuel
Crédit: Freepik
28 juin 2023

Fête de Tabaski : du rituel au factuel

Le sacrifice du prophète Abraham, appelé Aïd el-Ahda ou Tabaski en Afrique de l’Ouest, est célébré à travers le monde. Au Sénégal, le rituel est fortement coloré par les traditions avec une propension démesurée à la prodigalité.

Les fondements du rite

« Ô mon fils, je vois en rêve que je t’égorge. Qu’en penses-tu ? »

« Père, répondit le fils, fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras, si Dieu veut, parmi ceux qui supportent [l’épreuve] » (Cor. 37 : 102).

Abraham reçut de son seigneur l’ordre d’immoler son fils Ismaël. Les imams et érudits aiment à rappeler que le père, l’enfant et la mère admirent tous de bon cœur l’épreuve. Ils se conformèrent à la prescription divine, seule source de salut pour le croyant.

Sacrifice d'Abraham
Crédit : istock

Or, alors que Abraham réalisait l’holocauste sur le mont Moriah, Dieu précipita du paradis un bélier en échange. Le patriarche reçut les grâces de son Seigneur lui et les siens. Mieux, le souvenir du sacrifice d’Abraham rentra dans les rites et traditions de bon nombre de communautés de croyants de par le monde.

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Les enseignements

L’obéissance à Dieu et à ses préceptes est l’enseignement phare du souvenir du patriarche. Cette vertu rare de nos jours inclut l’obéissance de l’enfant à ses parents et de la femme à son mari. Elle donne tout son sens à l’autorité dans des sociétés modernes qui reposent fondamentalement sur la liberté individuelle.

Dans le Coran, Satan est banni pour s’être rebellé du recommandement divin. Il refusa de se prosterner devant Adam tel que Dieu l’avait ordonné aux anges. Depuis, Lucifer est devenu le général d’armées de toutes les cohortes d’hommes, de femmes et de djinns en rébellion contre les préceptes et recommandations divines. Dans plusieurs versets du Coran, le feu de l’enfer leur est promis dans toute sa hideur :

« Et lorsque Nous demandâmes aux Anges de se prosterner devant Adam, ils se prosternèrent à l’exception d’Iblis qui refusa, s’enfla d’orgueil et fut parmi les infidèles. » (Cor. 2 :107)

On retiendra enfin que le sacrifice d’Abraham est pour et non contre la vie. Si tant est que Dieu Le Très-Haut a précipité l’Ange des Cieux pour apporter le bélier de substitut et sauver l’enfant de la mort. Dans d’autres confessions, chrétiennes notamment, l’Agneau n’est autre que Jésus fils de Marie dont la venue sur terre est synonyme d’amour et de rédemption. C’est dire que le rituel est un fort parti pris pour la vie dans un monde où l’homme s’évertue d’avantage à détruire qu’à servir.

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Une fête aigrelette

A proprement parler, la référence à la foi et aux vertus qui en découlent lors de cette fête est pour beaucoup le moindre souci, quoiqu’en disent par ailleurs les sermons et rappels des imams et prêcheurs. « Tabaski sacré sucré« , dit-on dans la langue du pays pour référer au culte, davantage au festoiement. Lequel renvoie au mouton gras, à l’habillement, aux coiffures, achats de meubles et autres dépenses en direction des petits et des grands.

C’est de là que vient le casse-tête des pères de famille qui ne dorment que d’un œil à l’approche de chaque fête de Tabaski. Encore que les bonnes dames et la marmaille font un point d’honneur de se voir servir de la qualité dans l’apparat. De préférence le tissu « diezner« , très prisé pour la confection de jolis modèles d’habits auprès des couturiers de la place.

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Une aube

Vient ensuite le bélier ; d’abord devrions-nous dire. L’équidé doit satisfaire à ces exigences. Il doit être âgé au moins d’un peu plus d’un an et ne présenter aucune infirmité. A défaut d’un mouton, il est recommandé de sacrifier un bouc. Il est utile de rappeler que le croyant est exempté du rite s’il se trouve dans l’impossibilité d’acquérir une bête. Mais non, l’on crève sa tirelire et l’on s’endette autant que possible pour satisfaire les siens. Par les temps de hausse exponentielle des prix des denrées et du mouton en particulier, la Tabaski équivaudrait à un passage à tabac en bonne et due forme pour pas mal de goorgoorlou. En langue Wolof, le vocable recoupe tous les sénégalais de condition modeste qui tirent la queue du Diable pour joindre les deux bouts.

Une crise notoire des valeurs

La grande inquiétude des érudits et religieux est le renversement des valeurs caractéristiques de notre époque. Au Sénégal, la métaphore « famille de canards » renvoie à une triste réalité. Elle insinue que ce sont les plus petits qui dirigent la société et non les adultes. Les autorités et chefs de famille qui se complaisent à cette nouvelle donne ont des rapports moins conflictuels avec les jeunes. La résultante de cet état de fait n’est pas plus reluisante ; elle est désastreuse à bien des égards.

Le sacrifice d’Abraham 2.0 renverrait à un fils et une mère qui se rebellent contre l’autorité du père et de Dieu. Sûrement aussi à une communauté qui se liguerait contre le saint homme traité de fou, vite appréhendé et emprisonné.

La désobéissance en vogue nous vaudra ces derniers jours beaucoup de gâchis : des universités saccagées, des rues incendiées, des biens publics vandalisés, des blessés et des morts. Et pas que : il y a ce lendemain sombre qui fait tant peur parce que les plus petits sont manifestement dans une perspective de chaos.

Crédit : Léo Corea, AP

Que reste-t-il du legs du prophète Abraham et des siens deux mille ans avant notre ère là-bas sur les hauteurs du mont Moriah ?

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